Figure libre / Cinéma : Woody Allen et l’attachement évitant avec Loïc Déconche

Dans son film oscarisé de 1977, Annie Hall, le cinéaste Woody Allen incarne à l’écran son alter-égo Alvy Singer, personnage névrosé, intellectuel et profondément introspectif qui à l’occasion de sa rencontre amoureuse avec Annie Hall s’étend sur son indignité à recevoir de l’amour. Il y reprend le célèbre mot d’esprit de l’humoriste Groucho Marx, justifiant en 1949 sa démission du Friar’s Club d’un splendide paradoxe : « Je ne voudrais jamais faire partie d’un club qui accepterait de m’avoir pour membre ». Cette propension à l’anhédonie, qui associe tendance à l’autodépréciation et incapacité à trouver le bonheur – y compris et en particulier dans la relation à l’être aimé – est une composante de la psychodynamique névrotique tel qu’elle se joue de part et d’autre dans l’espace du divan. Quelles constructions intimes, quels attachements et quels souvenirs traumatiques anciens voire archaïques sont à l’oeuvre dans cette capacité de sabotage qui semble se trouver particulièrement à sa place dans la rencontre amoureuse et dans ce qui s’y joue d’illusoire et d’impossible ? En faisant ainsi obstacle au lien amoureux comme possibilité d’un bonheur en dehors de l’expérience de la solitude, nous plaçons-nous dans une fuite défensive pour ne pas retrouver les traumas de l’enfance ou lançons-nous bien au contraire une bouteille à la mère dans l’espoir qu’enfin nous serons reçus par l’autre en tant que sujet souverain ? Dans ces deux hypothèses, parmi tant d’autres, comment rejouons-nous jusqu’à la nausée le scénario d’un abandon fondamental dont on ne sait plus qui l’a initié ? Quelles possibilités enfin nous ouvre la perspective intime mais ordinaire de l’amour qui dure par rapport aux fantasmagories hors-soi de l’amour qui brule ?
